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Finance durable

Comprendre l’ESG : sortir du bruit idéologique, revenir à la base: la gestion des risques

Woke aux États Unis, affaibli en Europe, mal compris dans les entreprises : le terme ESG semble aujourd’hui chargé de tout sauf de son sens initial. Et pourtant, son cœur n’a jamais changé. Ce texte propose un retour aux sources, loin des caricatures, pour comprendre ce qu’est réellement l’ESG, pourquoi la double matérialité a brouillé le message, et en quoi l’analyse des risques extra-financiers reste essentielle à toute stratégie d’entreprise.

Temps de lecture estimé : X min

l'ESG, une méthode d'analyse des risques financiers pour les investisseurs

Sommaire

Depuis quelques années, l’ESG est devenu un terrain de bataille idéologique et le parfait bouc émissaire de l’incertitude mondiale.

Aux États-Unis, certains le décrivent comme « woke », d’autres comme purement diabolique. En Europe, la Commission hésite à défendre un principe pourtant central du Pacte vert. Et dans les entreprises, de nombreux dirigeants ne savent plus très bien ce qu’on attend d’eux, pris entre le greenwashing et le greenhushing.

Une conséquence visible est la disparition rapide de ce terme dans l’espace de communication, comme raconté dans cet article des échos. C’est pourtant une polémique stérile.

Revenons un instant aux fondamentaux, aussi simplement que possible.

L’ESG à la Source : une simple analyse de risque

Lorsque l’ESG apparaît au début des années 2000, ce n’est ni un instrument militant ni une lubie d’ONG. C’est une méthode d’analyse des risques financiers pour les investisseurs :

  • Risques E (Environnementaux) : climatiques, réglementaires, de transition, de dépendance aux ressources.
  • Risques S (Sociaux) : rotations, conflits sociaux, sécurité, réputation.
  • Risques G (Gouvernance) : fraude, corruption, composition du conseil d'administration.

L’ESG est né dans la finance, par la finance, pour améliorer l’évaluation des fondamentaux non comptables et identifier ce qui pourrait détruire de la valeur. Si vous ne l'analysez pas, vous gérez mal votre portefeuille. La preuve est faite.

La Double Matérialité : un conflit de logiques

L’Europe a ensuite introduit la double matérialité via la CSRD : un concept puissant, mais une source majeure de confusion.

Logique 1 : La matérialité financière
⟶ Ce qui impacte l’entreprise (le risque inward).

Logique 2 : La Matérialité d’Impact
⟶ Ce que l’entreprise impacte (l'effet outward).

Ce concept, en tentant d’associer ces deux logiques distinctes (risque et impact sociétal), a été une aubaine pour les détracteurs : il a créé des malentendus profonds, des attentes irréalistes et permis l’amalgame.

Climat, politique, diversité, convictions personnelles : tout a été jeté dans le même sac. L’ESG est devenu un symbole culturel et politique, et non plus l’outil rigoureux qu’il était.

L’ESG aux Etats Unis : un épouvantail

Le débat américain autour de l’ESG n’a plus rien à voir avec le risk management, qui en a été le cœur historique.

Le basculement survient lorsque certains fonds appliquent des exclusions sectorielles (énergies fossiles, armement), pratiques courantes en Europe, mais explosives dans des États dont l’économie repose sur ces industries (Texas, Oklahoma, Wyoming).

À partir de 2021, le mot "ESG" devient un marqueur idéologique : campagnes « ESG is woke capitalism », enquêtes contre BlackRock, listes noires.

Le Contre-Pied du Réel

Cette politisation radicale se retourne pourtant rapidement contre ses auteurs : plusieurs études montrent que l’exclusion des grandes banques des États récalcitrants renchérit leurs emprunts puisque le risque est mal évalué. La réalité du coût du capital est têtue.

Pendant ce temps, la SEC adopte un reporting climatique… exclusivement fondé sur la matérialité financière, c’est-à-dire le cœur historique de l’ESG.

Le paradoxe est complet : le mot “ESG” devient toxique, mais les pratiques d’analyse ESG continuent, simplement sous d’autres noms (climate risk, resilience, non-financial material factors). Le conflit est essentiellement sémantique, pas technique.

L’hésitation européenne : une erreur de récit stratégique

En Europe, le débat n’est pas idéologique, mais bureaucratique et administratif.

La Commission européenne a affaibli son propre récit. Elle a reculé sur son ambition, simplifié à l’excès (VSME sans DMA) et laissé s’installer l’idée que l’ESG serait une charge insupportable, sans rappeler assez clairement que le Pacte Vert visait à protéger notre économie des risques systémiques et à faire de l’UE un leader d’une compétence nouvelle : la durabilité (sujet d’un prochain article).

Ce message fondateur (intégrer les risques au même niveau que les risques financiers) n’a pas été suffisamment porté ni suffisamment tôt. La Chine s'est engouffrée dans la brèche.

L'Ironie Suprême : La Chine Adopte la DMA

Ironie du sort : Alors même que l’Europe retire la logique de double matérialité du référentiel VSME pour les PME, la Chine introduit une DMA obligatoire dans plusieurs zones pilotes, ce qui renforce l’analyse des risques extra-financiers.

Le signal envoyé au reste du monde est saisissant : tandis que l’Europe doute, ses concurrents stratégiques avancent sur l’intégration des risques.

Le Référentiel VSME : un cadre utile, mais incomplet

La VSME est simple, utile et proportionnée pour les PME. C'est un pas en avant, indiscutablement. Mais sans une dynamique de matérialité (DMA), elle ne permet pas aux PME de :

  • Prioriser leurs risques de manière stratégique.
  • Dialoguer efficacement avec les banques et les assureurs (qui veulent savoir ce qui est matériel pour leur décision).

D’où la nécessité de référentiels complémentaires comme VSME+, mieux adaptés aux usages réels des territoires, des filières et des financeurs. La durabilité doit se piloter, pas juste se reporter.

Revenir à l’essentiel

Si l’on enlève le bruit, les polémiques et les excès idéologiques, il reste une vérité simple et financière :

👉 L’ESG est, et restera, une analyse de risque absolument indispensable.

Indispensable pour toutes les organisations qui évoluent dans un monde incertain. Le changement climatique n'attend pas la fin des polémiques politiques.

Le sujet n’est pas « ESG ou pas ESG ».

Le sujet est : comment intégrer intelligemment les risques qui comptent (risques climatiques, sociaux et réglementaires) pour prendre de meilleures décisions, renforcer la résilience de l'entreprise et mieux sécuriser le capital. Débarrassée de son fardeau sémantique et politique, la démarche ESG redevient ce qu’elle aurait toujours dû être : un outil de gouvernance essentiel et une condition de la performance à long terme.

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